Quels lamentables résultats dont les USA, la France, l'UE, l'OTAN, les émirats, (tout le clan US) n'ont pas de quoi être fiers.
La déstabilisation de l'Ukraine par ces mêmes "occidentaux" conduit au même résultat : guerre civile, réfugiés, tout un peuple qui souffre.
Dans l'Humanité Dimanche du 21 au 27 août Jean Ziegler fait le point sur tous ces sujets - un dossier clair, lucide et passionnant - sous le titre "La renaissance de l'ONU est la seule solution au chaos du monde".
Vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Jean Ziegler déplore la paralysie actuelle de l’ONU. Incapable d’assurer la sécurité collective, elle doit être réformée rapidement. Le chaos de notre monde actuel l’impose. Son espoir ? Le réveil de la société civile « porteuse d’une formidable espérance ».
Entretien réalisé Émilie Denetre - L’Humanité
Dimanche 21 Août, 2014
Jean Ziegler est Professeur honoraire de sociologie de
l’université de Genève, auteur du livre « Destruction massive. Géopolitique de
la faim », au Seuil.
HD. Ukraine, Gaza, Irak,
Syrie : les Nations unies et, plus
précisément, le Conseil de sécurité chargé d’empêcher les conflits semblent «
malades »…
Jean Ziegler. C’est évident que les Nations unies sont paralysées et ne
font pas ce pourquoi elles ont été fondées en juin 1945 : assurer la sécurité collective. Dans la charte de l’ONU, il y a
le chapitre VII, qui est central et qui définit un ensemble de moyens à mettre
en œuvre en cas de conflit. Cela va de l’embargo économique à l’envoi de
troupes contre l’agresseur. Ce chapitre VII, c’est-à-dire l’ensemble des
instruments à disposition pour assurer la paix, terminer un conflit et punir un
agresseur, ne fonctionne pas et c’est lamentable. La faute au Conseil de
sécurité et au droit de veto. Soyons clairs, lorsque l’ONU a été créée, ce
droit de veto était nécessaire. À l’Assemblée générale, chacun des 194 États
membres dispose d’une voix, quelle que soit sa population ou son poids
économique : c’est la démocratie totale. Le plus petit État, le Vanuatu, 55 000 habitants, le plus grand, la Chine, 1,4 milliard d’habitants,
chacun a une voix. Mais à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés
(États-Unis, France, Royaume-Uni, URSS et Chine) n’ont pas fait entièrement confiance à ce principe
démocratique, se rappelant que c’était par les urnes qu’Hitler avait accédé au
pouvoir. Aussi ce droit de veto était-il justifié afin de se prémunir
d’éventuelles décisions qui auraient pu être prises démocratiquement par
l’Assemblée générale mais qui auraient été désastreuses pour la paix du monde.
Aujourd’hui, ce droit de veto est totalement paralysant. Les cinq membres
permanents qui en disposent suivent leurs propres raisons d’État. Vous prenez
n’importe lequel des conflits actuels, Gaza, Syrie ou Ukraine, à chaque fois
vous avez un pays qui utilise son droit de veto pour bloquer l’intervention de
l’ONU.
HD. Que faire alors ?
J. Z. Tout le monde est conscient, en tout cas nous au Conseil
des droits de l’homme, que ce droit de veto ne peut plus durer. Il faut qu’il
disparaisse et que le système de sièges permanents évolue. Le plan de réforme,
qui est sur la table et qui n’avance pas depuis huit ans, est celui de Kofi
Annan. Il propose que les sièges permanents soient « tournants ». Exemple : les sièges permanents de la France et de la Grande-Bretagne
seraient supprimés et l’on créerait un siège permanent pour l’Europe
occidentale qui serait occupé successivement par les principaux États d’Europe
occidentale. Même chose pour la zone Asie, le siège permanent de la Chine serait
confié par rotation au Japon, à l’Inde, au Pakistan, etc. Idem pour l’Europe de
l’Est, les Amériques, etc. Et évidemment, plus de droit de veto.
HD. Mais pour parvenir à
une telle réforme, il faut l’accord des « 5 » qui freinent des quatre fers…
J. Z. Vu l’éclatement de conflits non maîtrisés que nous vivons
actuellement et les effroyables massacres de populations civiles perpétrés par
les généraux israéliens à Gaza cet été, les choses peuvent bouger. J’ai
l’espoir que les grandes puissances se rendent compte que le chaos du monde
exige la réforme des Nations unies. Surtout si elles comprennent, notamment les
États-Unis et la Russie, que la paralysie de l’ONU les met en danger elles-mêmes.
Un conflit comme celui de l’Ukraine risque de déboucher sur une guerre
continentale, dont souffrirait terriblement la Russie. De même pour Gaza. Le
fait que les crimes de guerre israéliens soient couverts par les États-Unis
nuit aux Américains.
HD. Faut-il supprimer les
Nations unies, pour repartir de zéro avec une nouvelle institution ?
J. Z. Jamais ! Car les Nations unies ont trois
rôles essentiels : la sécurité collective (nous venons
d’en parler) mais aussi celui d’assurer à chaque être humain le respect des
droits de l’homme ainsi que la justice sociale, notamment par des mécanismes d’aide au
développement. Toutes les cinq secondes un enfant en dessous de 10 ans meurt de
faim et cela sur une planète qui pourrait nourrir le double de l’humanité actuelle.
Un enfant qui meurt de faim est assassiné. Si vous supprimez l’ONU, vous
anéantissez aussi ces organisations qui luttent tous les jours contre les
inégalités : le Programme alimentaire mondial, l’Organisation mondiale de la
santé, le Haut-Commissariat pour les réfugiés, etc. Mais le pire, c’est sans
doute que si nous supprimions l’ONU, nous n’arriverions plus à remettre tout le
monde autour d’une table pour discuter. Pour prendre un exemple précis, lorsque
j’étais rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation, je me suis adressé à
Antonio Gutierrez, haut-commissaire pour les réfugiés, afin de lui demander la
création d’un statut pour les « réfugiés de la faim ». Il a levé les bras au
ciel en me disant : « Surtout pas ! Ne parle plus jamais de cela. Si l’on touche aujourd’hui à la convention de 1952, le
droit d’asile en son entier serait en danger ! » Et c’est un
fait : aujourd’hui, on ne pourrait plus rien renégocier du tout, ni la
Charte ni la Déclaration des droits de l’homme.
HD. Les États-Unis sont
ambigus avec l’ONU, ils y siègent, mais la contournent, lui préférant l’OTAN ?
J. Z. Pendant la guerre froide, vous aviez le pacte de Varsovie,
pacte militaire de défense commune des pays communistes. En face, le traité
transatlantique, l’OTAN, pour la défense des pays occidentaux. Après la chute
du mur de Berlin, le traité de Varsovie a été dissous en 1991. L’OTAN, qui
n’avait plus de raison d’exister, aurait dû également être dissoute. Mais les
États-Unis ont réussi à maintenir l’OTAN et, mieux, à l’instrumentaliser pour
leurs propres ambitions impérialistes, économiques et politiques. Un des très
grands problèmes de l’ONU, c’est le gouvernement de Washington. Je le vois au
Conseil des droits de l’homme, où il sabote tous les efforts pour généraliser
les droits de l’homme. Par exemple, il existe une convention internationale
interdisant les tortures, que les États-Unis ont signée. Et pourtant ils
pratiquent la torture ! Non pas par quelque dérapage, au
fin fond d’une prison du Missouri. Ils pratiquent une torture organisée via un
décret
présidentiel de George W. Bush, en cas de soupçon de terrorisme, qui est encore
en vigueur ! Une des grandes puissances qui utilisent le plus cyniquement
l’ONU, et le plus hypocritement les droits de l’homme, ce sont les États-Unis.
HD. Selon vous, que pense
aujourd’hui la population des Nations unies, lui fait-elle encore confiance ?
J. Z. Évidemment, que l’on permette durant un mois à un État
membre, Israël, de bombarder un peuple pris au piège du ghetto de Gaza,
d’assassiner des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes, de viser les écoles
siglées ONU, cela fait des ravages dans les consciences. On se dit : « Qu’est ce que c’est que cette organisation qui n’arrive même
pas à faire respecter les principes les plus élémentaires qui la fondent ? » Pourtant il y a quelque chose qui est en train de changer en ce moment.
Nous assistons au réveil de la société civile. Pendant tout le mois de juillet,
les généraux israéliens ont massacré les enfants de Gaza, par terre, du haut du
ciel et par mer. L’ONU est restée absente et les pays occidentaux, dont la
France, sont restés silencieux. Mais en même temps, des dizaines de milliers de
personnes ont manifesté en Europe, des personnes de toutes les confessions, des
jeunes, des vieux. Emmanuel Kant a dit : « L’inhumanité infligée à un
autre détruit l’humanité en moi. » C’est le fondement de l’impératif
catégorique qui anime la société civile. Cette société civile est aujourd’hui
une force historique, elle impose graduellement ses normes. Elle est porteuse
d’une formidable espérance. La renaissance de l’ONU, par les réformes que nous
avons évoquées, est la seule solution au chaos du monde.
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