mardi 11 février 2014

Sur la laïcité par Yvon Quiniou, philosophe

TRIBUNES L'Humanité -  le 24 Janvier 2014
La laïcité induit-elle une neutralité bienveillante des religions ?

Il convient de libérer l’homme de la fantasmagorie religieuse

Par Yvon Quiniou, philosophe (1).
Dans un livre que j’ai lu avec attention (2), comme dans une récente tribune parue dans l’Humanité, Pierre Dharréville nous présente une conception très ouverte de la laïcité, liée à une conception elle-même très avenante de la religion. Le problème est que cette dernière n’est pas justifiée, ni sur le fond ni dans le visage que nous offrent à nouveau aujourd’hui les religions qui tentent de réinvestir la sphère politique publique, risquant d’altérer la véritable laïcité telle qu’elle existe en France depuis un siècle......suite....

Premier point: les religions – à distinguer de la foi intérieure qui est une option métaphysique sur le réel, tout aussi légitime que l’athéisme et qui n’est pas concernée ici – ne sont pas ce que Pierre Dharréville en dit, à savoir des facteurs de lien social, de pacification des mœurs, voire de solidarité sociale. Elles se sont toujours opposées entre elles, ont suscité ainsi des conflits et offert une structure d’accueil idéologique aux pires violences sectaires et meurtrières comme on le voit, aujourd’hui, avec le judaïsme d’extrême droite en Israël et, surtout, l’islam intégriste au Moyen-Orient. Cela a été l’honneur de la philosophie des Lumières d’en avoir fait le procès en son temps (Spinoza, Hume, Kant, pour ne citer qu’eux).
Par ailleurs, elles ont toujours – je dis bien toujours – été porteuses d’un dogmatisme inadmissible, alimentant l’obscurantisme en refusant les grandes découvertes scientifiques qui contredisaient leur conception du monde et de l’homme: cela s’est manifesté spectaculairement avec Galilée et s’est renouvelé avec Darwin, dont la théorie continue à être combattue par les mouvements créationnistes aux États-Unis ou les tenants du «dessein intelligent» qui ont des relais influents en France. Enfin, elles ont constamment soutenu les pires régimes d’oppression politique et sociale – la carte des dictatures au XXe siècle coïncide avec celle de la domination la plus forte des Églises. Et, sauf naïveté, on ne saurait se laisser prendre aux apparentes avancées du pape François: non seulement il maintient une vision rétrograde des mœurs et de la sexualité (comme les deux autres religions monothéistes), mais son ouverture au social est une magnifique duperie: son «option préférentielle pour les pauvres» est purement «théologique», a-t-il pu proclamer récemment et l’Église «n’a pas à devenir une ONG»! Sans compter que ce sont les excès du capitalisme qu’il condamne et non celui-ci dans son essence.
Deuxième point: il ne faut pas ignorer ou oublier l’immense apport critique des grands théoriciens du XIXe siècle. Non seulement et sous des formes diverses ils nous ont montré, voire démontré, que les religions sont des phénomènes purement humains que l’on peut expliquer, sur un plan strictement immanent, par l’ignorance, le faible développement technique, la psychologie ou l’histoire et dont on peut prévoir la disparition à (long) terme, mais, surtout, ils en ont dénoncé la malfaisance: elles ont dénigré la vie (Nietzsche), enfoncé l’homme dans l’infantilisme ou la névrose (Freud), aliéné l’humanité dans la croyance en un monde fictif (Feuerbach) et, last but not least, elles ont alimenté, selon Marx, l’aliénation socio-historique des hommes en la masquant ou en la justifiant par des illusions idéologiques.
La protestation contre la «détresse réelle» qu’elles constituaient à leur manière n’était suivie d’aucune lutte effective contre elle, voire offrait un dérivatif imaginaire qui en détournait. Et, quand au XXe  siècle, les théologiens de la libération ont voulu inverser ce processus, ils ont été rapidement rappelés à l’ordre. C’est bien pourquoi il faut saluer ce mot de jeunesse de Marx affirmant que «la critique de la religion est la condition préliminaire de toute critique», laquelle doit être suivie de la critique des conditions sociales qui la produisent car la «détresse religieuse» n’a pas de solution en elle-même.
D’où un dernier point, portant sur la laïcité. Celle-ci concerne bien spécifiquement la question religieuse dans son rapport à l’État, et on ne saurait la fondre dans une vague problématique de l’émancipation en général. Celui-ci doit garantir la libre existence des religions (comme l’expression de l’athéisme, ce qu’on oublie souvent) et ne privilégier, ni soutenir financièrement, aucune d’entre elles.
Or, c’est là qu’intervient un contresens: la neutralité de l’État ne signifie en rien celle des citoyens ou de l’école à l’égard du phénomène religieux. Dans le cadre d’une éducation à la raison et au jugement critique qui sous-tend aussi l’exigence laïque, l’examen critique des religions dans leurs dérapages intellectuels, leurs excès et leur malfaisance humaine, est de droit. C’est d’ailleurs, cette fois-ci, un élément, mais spécifique, du combat pour l’émancipation humaine en général.
Il nous faut donc rester fidèles au message de Marx, dans la Critique du programme de Gotha: étant entendu que la liberté de conscience doit être absolument défendue, il ajoutait que le propre des communistes n’était pas de s’en contenter et de libérer les religions des entraves qu’elles rencontrent (c’est la laïcité positive, plurielle et molle), mais de «libérer l’homme de la fantasmagorie religieuse», puisqu’elle est un facteur d’aliénation, par une critique continuée de ses effets.
C’est cela la vraie laïcité: celle qui favorise l’autonomie des êtres humains.
 (1) À paraître, en septembre2014, aux Éditions La ville brûle: Critique de la religion. Une imposture intellectuelle, morale et politique.
(2) La laïcité n’est pas ce que vous croyez, Éditions de l’atelier, 2013, 144 pages, 16euros. 
Yvon Quiniou,


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